HSS 431, 2022

Peut-on encore être moderne ?

« Il faut être absolument moderne » écrivait Rimbaud à la fin de la Saison en enfer. On ne sait pas si le poète a écrit cette phrase avec sérieux ou avec ironie, mais elle montre qu’« être moderne » a longtemps été compris comme un injonction plutôt que comme un constat. Avec la rupture galiléenne (XVIIème siècle) et plus encore avec les Lumières s’est installée l’idée que rompre avec le passé, critiquer les superstitions, promouvoir la nouveauté, penser et agir en suivant la seule raison étaient des impératifs catégoriques.

Jusqu’à récemment, « être moderne » ne désignait pas seulement une position dans l’histoire, mais une promesse en matière de liberté et de justice. Celui qui ne voulait pas être moderne apparaissait sous la figure du conservateur, du perdant ou du nostalgique : dans tous les cas, il était suspect de ne pas adhérer à son propre présent, donc de tourner le dos au sens de l’histoire.

Depuis quelques décennies, un tout autre diagnostic tend à s’imposer. Aux critiques traditionnelles de la modernité (en libérant l’humanité, celle-ci l’aurait aussi laissé seule et désœuvrée) se sont ajoutées des inquiétudes relatives à la viabilité du projet moderne. L’idée, typiquement moderne, selon laquelle le monde est ce que l’humanité en fait se heurte désormais au constat que la Terre est en train de se défaire à force d’avoir été transformée, sinon dévastée.

Pour beaucoup, nous aurions été aveuglés par les Lumières au point de ne pas voir que l’humanité, en cherchant à se dépasser, mettait en danger les conditions mêmes de sa subsistance. Le réchauffement climatique dont les causes sont anthropiques est le signe le plus spectaculaire de ce retournement, mais il en existe d’autres.

Le sentiment d’une crise économique sans fin, la défiance marquée à l’égard d’une technique devenue indépendante de nos volontés, les doutes sur la notion de « progrès », les désirs de refaire communauté contre les excès de l’individualisme sont des signes d’un divorce avec le projet moderne.

 

Bibliographie sélective

  • Günter Anders, Le Temps de la fin, éditions L’Herne.
  • Ernst Cassirer, La Philosophie des Lumières, éditions Fayard.
  • Benjamin Constant, De la liberté des Anciens comparée à celle des Modernes, éditions Mille et une nuits.
  • Kant, « Qu’est-ce que les Lumières ? », éditions GF-Flammarion.
  • Bruno Latour, Nous n’avons jamais été Modernes, éditions La Découverte.

 

Modalités d'évaluation : Dissertation (4 Heures)
Langue du cours : Français


 

 




HSS 431, 2023

Can we still be modern?

"We must be modern" wrote Rimbaud at the end of la Saison en enfer. We don't know whether the poet wrote this sentence with seriousness or irony, but it shows that "to be modern" has been understood for a long time as an injunction rather than a statement. With the Galilean rupture (17th century), and even more so with the Enlightenment, the idea took hold that breaking with the past, criticizing superstition, promoting novelty, thinking and acting according to a single reason were categorical imperatives.

Until recently, "being modern" didn't only mean a position in history, but also a promise of freedom and justice. Anyone who didn't want to be modern appeared as a conservative, a loser or a nostalgic: in all cases, they were suspected of not adhering to their own present, and therefore of turning their back on the direction of history.

Over the past few decades, a completely different diagnosis has imposed itself. In addition to the traditional criticisms of modernity (in liberating humanity, it also left it alone and idle), there have been concerns about the viability of the modern project. The typically modern idea that the world is what humanity makes of it has come up against the realization that the Earth is in the process of pulling down as a result of being transformed continuously, if not devastated.

Many believe that we were so blinded by the Enlightenment that we failed to see that, in striving to surpass ourselves, humanity was jeopardizing the very conditions of its subsistence. Anthropogenic global warming is the most spectacular sign of this reversal, but there are others. The feeling of a never-ending economic crisis, a marked distrust of technology that has become independent of our will, doubts about the notion of "progress, and the desire to rebuild community against the excesses of individualism are all signs of a divorce with the modern project.

Selective bibliography

Günter Anders, Le Temps de la fin, éditions L'Herne.
Ernst Cassirer, La Philosophie des Lumières, éditions Fayard.
Benjamin Constant, De la liberté des Anciens comparée à celle des Modernes, éditions Mille et une nuits.
Kant, "Qu'est-ce que les Lumières?", éditions GF-Flammarion.
Bruno Latour, Nous n'avons jamais été Modernes, éditions La Découverte.

 


Evaluation : Essay (4 hours)
Course language : French